Tentative d’abécédaire, à usage du transateux néophyte
Position 14°29N – 59°25W, vitesse 6,3 nœuds, 91 milles du but
Jeudi 10 décembre, 09 h.
A
Alizé : vent doux et régulier mythique, censé vous emmener en douceur des Canaries aux Antilles. Gros fake.
Amure : voir « Babord » ou « Tribord ».
Avitaillement : la phase la plus importante avant d’embarquer. On s’en est pas trop mal sortis. On devrait survivre jusqu’au bout. Peut-être un peu trop de farine. Réflexe de franchouillard confiné ? A noter quelques menues difficultés de conversion de nombre d’unités (x mandarines) en poids (y Kg de mandarines) ; de l’utilité du site Marie-Claire…
B
Bâbord : voir « Amure » ou « Tribord ».
Barre : bidule tenant par des bouts de ficelles qui cassent la première nuit. Pourtant relativement stratégique pour une transat. Voir « Épissure ».
Bimini : toile qui se positionne au dessus du cockpit, touche de confort essentielle les jours ensoleillés, qui donne à Khelios une touche caravanesque pas du tout assumée par le skipper, qui a un peu d’honneur à conserver dans le petit monde de la course au large.
Bleu : couleur de l’Océan, mais aussi des hématomes qui parsèment nos corps endoloris par les chocs consécutifs à nos pertes d’équilibre quasi permanentes. Couleur aussi de la croute du reste de tomme de Savoie, qui commence à être bien mûre.
Bout : peuvent pas appeler une corde « corde », les marins ? Peuvent se décliner en drisses, écoutes et contre-écoutes, amarres, … Mais à ne pas confondre.
Bruits : permanents et variés. Craquements, frottements, chuintements, glouglous, alarmes, sifflet de la bouilloire, ricanement de la pompe d’eau de mer (ou de la pompe d’eau douce), hurlements plus ou moins avenants du vent, jurons de l’équipier qui se fracasse la tête pour la 127ème fois sur le même angle de plafond, etc. Voir post précédent pour plus de détails.
C
Cap : à maintenir en toutes circonstances, aidé du skipper (boussole vivante), mais en acceptant l’idée de compromis avec la vitesse. Peut vite devenir un sujet assez philosophique.
Cargo : croisé périodiquement. Souvent russe ou battant pavillon libérien. Il en existe des petits, des moyens et des gros. Plus ou moins avenants à la radio.
Casseroles : à la maison, sert à cuire ou réchauffer des aliments ; sur Khelios, sert surtout d’assiettes incassables. Chacun son écuelle.
Castor : le TS42 qui aurait dû être notre monture. N’est jamais arrivé à Las Palmas. Voir « Khelios ».
Castor : la mascotte de l’équipage, charmante petite peluche qui est restée bien sage pendant toute la traversée. Castor est aussi le nom de la pleine lune qui a marqué le milieu de notre périple. Ça ne s’invente pas !
Chevreuil à grandes oreilles : animal mythique, peu aimé des marins. Pourtant bon en civet.
Couchette : Lieu où l’on essaie de dormir. Malgré les bruits, les mouvements, le voisin qui nous roule dessus (voir « Gîte »). Selon les formats (de couchettes et d’équipiers), peut requérir 5-10min d’acrobaties pour y entrer et surtout en ressortir. On revisite ainsi a posteriori l’utilité de nos cours d’athlétisme du collège, avec notamment la technique du fussbury. Les techniques de rampette, saut de l’ange carpé ou coup de pied à la lune peuvent aussi aider, malgré les risques de dommages collatéraux.
D
Dauphins : on en a vus. Pas beaucoup. On devait pas les intéresser ? Plusieurs petits spécimens bleus argent sont quand même venus jouer à proximité du bateau.
Daurade : coryphène, pêchée le 15e jour et dégustée sur le champ. Selon les appréciations des équipiers, la bête mesurait entre 70cm et 1m et pesait entre 7 et 10 Kg. Magnifiques reflets bleus, verts et dorés.
Déchirures : voir « Spi » et « Voiles ». Justification de notre place en milieu de classement seulement (en temps réel).
Douche : local technique réservé, espace permettant de ranger les voiles ou les vêtements mouillés, bottes et chaussettes marinées, poubelles, mais où il est interdit de se laver. Permet aussi d’entreposer le seau étiqueté « WC».
Doucher (se) : depuis l’arrière du bateau, à l’eau de mer, avec savon spécial ou pas – ça mousse toujours bien, ne pas courir les boutiques avant la transat pour trouver du savon spécial -, rinçage les jours de chance avec la douchette d’eau douce ou une bouteille d’eau de source. Nu face à l’Océan où en maillot, selon les rapports de chacun aux éléments.
Drone : ne pas utiliser en cours de transat, si on tient à le garder vivant. Dommage, les images auraient été belles. L’atterrissage sur un bateau en mouvement a été fatal.
E
Eau : liquide rationné pour tenir jusqu’au bout. 600 L dans 3 réservoirs, plus 4L par jour et par personne en bouteilles de 2L.
Empilage de vaisselle : strictement interdit à bord du bateau pour cause de gîte, risque de casse trop important et garantie de remarque si on y outrepasse. Jusqu’ici, les seules pertes à déplorer sont une cafetière et un verre.
Épissure : technique de matelotage (couture spéciale) qui a permis à notre valeureux skipper de réparer notre avarie de barre et donc de sauver littéralement la transat.
Étoiles : décor qui rythme la nuit, contenant souvent moult repères utiles pour garder le cap – nous suivons particulièrement Orion, Cassiopée, la Grande Ourse, la Polaire (limites de notre culture astronomique). Quand des nuages sournois ne viennent pas produire une nuit d’encre, rendant impossible toute distinction entre l’Océan et le ciel, noirs tous les deux.
Évier : lieu convivial et fréquenté, comportant un robinet d’eau de mer avec une pompe trop puissante que l’on allume facilement par mégarde, d’un coup de rein involontaire. Éclabousse de partout sur un périmètre d’environ 1m50. Forte odeur d’uf pourri à l’allumage de la pompe d’eau de mer (tentatives de purge du circuit en question demeurées infructueuses).
F
Four : comme à la maison, mais sur un axe mobile pour suivre les mouvements du bateau ; voir « Gîte ». N’empêche quand même pas la pâte de gâteau trop liquide de se renverser. Idéal pour la cuisson artisanale de brownie en trois tiers (recette Khelios) : un tiers dans le moule, un tiers dans la plaque et un tiers qui se barre au fond du four. Sympa à récurer ensuite.
G
Galette : concept polyvalent, fort utile en bateau. Parfois produite inopinément par les équipiers du bord, en phase de prise en main du bateau (une seule officiellement référencée sur Khelios, en pleine avarie de barre, délicatement rendue à l’Océan sans dégâts collatéraux). La version culinaire peut brûler l’arrière-train d’un équipier tombant malencontreusement sur l’assiette d’un autre convive. Crise de fou-rire assurée.
Gilet de sauvetage : harnais, dénommé aussi le joug (en lien avec nos séances d’esclavage nocturne sur le pont), se porte surtout la nuit et lors d’orages, près du corps et entre les Khelios, fait mal au dos quand on s’allonge pour dormir, sur la banquette lors d’un quart de nuit. Complexifie à outrance toute opération urinatoire ou défécatoire. A ne pas échanger avec celui des autres équipiers !
Gîte : angle entre l’axe du bateau et l’horizontale (mouvements sur l’axe longitudinal du bateau). Change tout le temps. Permet de ramener une jolie collection de bleus un peu partout. Voir aussi « Couchette »
Grains : voir « Thalweg ». On les surveille comme le lait sur le feu. Beaucoup de vent autour. De la pluie et parfois des éclairs en-dessous.
H
Hale-bas : un des nombreux bouts de ficelle dont l’usage est trop pointu et technique pour notre pauvre compréhension. Avec aussi balancine, bastaque, barber haulers, lazy jacks, etc. Quand vraiment on est trop mal réveillés ou juste un peu lents, le skipper distille ses consignes en parlant des couleurs de ficelles, ce qui limite les risques de conneries (sauf avec une frontale rouge, qui peut jouer de vilains tours).
Houle : l’Atlantique, c’est jamais plat. L’un d’entre nous avait tellement bien préparé le projet qu’il anticipait de possibles mouillages pour faire des pauses, évidemment un peu compliqué par 6000m de fond.
I
Idiot : marin amateur devant des mots de vocabulaire technique qu’il ne maîtrise pas (voir « hale-bas »).
Immensité : l’Océan à perte de vue pendant 20 jours. Relativise utilement la taille de son balcon ou de son jardin ! Peut apporter un sentiment de grande vulnérabilité.
Iridium : système de communication satellite, vital pour garder un lien avec l’extérieur, mais nous faisant remonter à la préhistoire d’internet, avec de fortes réminiscences de modem 56 K. Source possible de tensions dans les couples, si les consignes techniques ne sont pas appliquées (supprimer les historiques de messages, retirer tout lien URL ou image, etc.). Réseau fort capricieux.
J
Jámon iberico bellota : seconde mascotte de l’équipage. N’aura pas vu les Antilles. Sauf l’os.
Jeux : on en a apporté des tas. Les mouvements du bateau et le manque de sommeil nous ont empêché d’en abuser. Et même d’en user. A part une partie de blanc manger coco, pendant l’apéro d’un jour, qui a été l’occasion de franches rigolades.
K
Khelios : notre valeureux navire (un RM 13.70) pour traverser l’Atlantique. Signifie également « couilles » en grec ancien. Et Dieu sait qu’il en fallait, des (paires de) couilles, pour mener à bien ce projet.
L
Laura : sirène typique des transats, croisée à proximité des Canaries, pas revue ensuite. Porte souvent une forme de jupette susceptible de faire perdre temporairement son cap aux plus valeureux marins.
M
Maman : joker éternel, dont la présence peut s’avérer fortement souhaitable (et souhaitée) surtout en cas de confrontation à des phénomènes météorologiques extrêmes (voir « Thalweg »).
Météo marine : science passionnante, complexe et inexacte, source d’acrobaties mentales permanentes de notre skipper. C’est grâce à elle (et à l’opiniâtreté générale) que nous avons pu remonter autant de places au classement général.
Moteur : principale source d’énergie à bord, en complément des panneaux solaires. Recharges régulières nécessaires. Suivre méthodiquement et scrupuleusement les procédures de mise en route et d’arrêt, pour éviter les mauvaises surprises.
N
Nœud : passe-temps de marin. Chaise, cabestan, pêcheur, plat ou en huit, chacun a ses usages de prédilection. Défi : nœud pas oublier comment les faire…
O
Odeurs : on finit par les oublier…
Opinion : manifestation émotive de liberté individuelle, pas toujours compatible avec la notion de survie en mer, et de toute façon peu utile (voire proscrite) à bord en présence du skipper, qui incarne l’alpha et l’oméga de toute vérité tout au long de la traversée : « right or wrong, I am still the Captain ».
Orque voyou : objet de fantasme de l’équipage. Suite à divers incidents aux abords des côtes espagnoles et portugaises, peur que Khelios devienne le nouveau joujou de ces monstres marins , et que notre safran ne se retrouve lui-aussi grignoté pendant 45 mn.
P
Pêche : occupation consistant à laisser traîner des lignes derrière le bateau. On a longtemps cru que c’était une plaisanterie. Jusqu’à ce qu’une daurade nous prouve le contraire. Voir aussi « Daurade ».
Pilote automatique : accessoire intéressant, dont l’existence peut n’être révélée par le skipper que tardivement (8 jours après le départ, dans notre cas). Sans lui, le barreur devient vite un zombie. Utile pour transformer ponctuellement le cockpit arrière en salon de lecture. Parfois efficace, parfois dramatiquement mauvais, surtout en présence de forte houle. Permet au skipper de se défouler et d’engueuler quelqu’un d’autre qu’un équipier.
Plancton : luminescent, dessine toutes les nuits une myriade de petites étoiles dans le sillage de Khelios. Très joli.
Q
Quarantaine : notion essentielle, surtout pour les transats menées à la hussarde, en période de pandémie mondiale. Risque de se retrouver bloqué au mouillage pendant 8 ou 15 jours sans pouvoir prendre le départ, en cas de test positif.
Quart : période où la croisière (qui ne s’amuse plus du tout) devient galère. Moment où deux zombies deviennent responsables de la bonne marche du bateau (barre, surveillance de la vitesse et de l’angle du vent – vrai ou apparent – et de sa force, de l’environnement – nuages, autres bateaux, grains…- ) et du réveil du skipper en cas de problème. Représente quand même trois fois trois heures par jour. Hors temps de harnachement et déharnachement. Voir « Gilet » et « Uniforme ».
R
Rodéo : jeu consistant à rester couché dans sa bannette la nuit avant d’en être éjecté par le roulis tumultueux d’un bateau sous thalweg (voir « Thalweg »). Quand on rajoute ensuite le harnais qui serre les roupettes (voir « Gilet »), on a une idée de ce que peut ressentir un étalon texan avant d’entrer dans l’arène.
S
Sac biodégradable : en version housse de cuvette WC, il permet de se soulager avant de rejoindre le seau bleu « WC » pour être ensuite porté élégamment jusqu’à l’arrière du bateau, généralement avec un sourire penaud et le dos un peu voûté, pour être jeté en offrande à Poséidon ; on aime le regarder s’éloigner avec sa petit bulle d’air qui fait office de voile. A ne pas confondre avec un sac normal sous les yeux du skipper, sinon on provoque la risée générale pour devoir le vider manuellement à la mer, ou opérer un très périlleux transfert de contenu organique dans un autre sac, car on ne jette rien en plastique non biodégradable à la mer !
Saint-Pierre-et-Miquelon : notre cap au début de la transat, le temps de se roder et de bien repérer où se trouvaient (et se trouvent toujours) les Antilles.
Seau : ersatz de toilettes à bord. Pour le bien-être général de l’équipage, éviter de confondre le seau bleu « WC » et le seau (bleu aussi) « vaisselle ». Voir « WC ».
Sirène : a beaucoup fait fantasmer l’équipage. Surtout le modèle dit « à grosses bosses ». Voir « Laura »
Skipper : personnage indispensable. Sans lui, on ne serait pas sortis de la marina de Las Palmas. À calmer parfois quand il commence à trop passer en mode compétiteur tendance Vendée Globe. Se fâche rapidement face à tout geste imprudent à bord et à ses éventuelles conséquences pour la sécurité de l’équipage. Nous avons un modèle alsacien-néo-breton. Nous en sommes très contents. A recommander.
Spi : voile creuse à l’avant qui donne puissance et élégance au bateau, complexe à appréhender pour des néophytes, surtout en navigation de nuit. Peut se déchirer assez vite, son absence peut terriblement ralentir une transat. Sur Khelios, il y en avait 3 au départ, dont un asymétrique (déchiré le premier soir) un gennaker (inutilisable depuis le 7ème jour) et un symétrique qui reste encore valide… pour l’instant (voir « Voiles »).
T
Thalweg : phénomène météorologique particulièrement désagréable, lié à des zones de basses pressions. Pas le meilleur souvenir de la transat. Voir aussi « Grains » et « Maman ».
Tribord : voir « Amure » ou « Bâbord ».
U
Uniforme : de marin, bien sûr ! Pour une transat, prenez un maillot de bain, un t-shirt de 5 jours et un chapeau maculé de crème solaire. Qu’on aime ou non, les bottes, le pantalon de ciré et la veste de quart sont aussi des accessoires incontournables. Sans parler des lunettes de soleille et de la frontale rouge (pour l’ambiance cockpit de sous-marin).
V
Vague : excuse universelle et fort commode pour justifier toutes les erreurs moyennes de l’équipier moyen. « Tu es trop haut, abats ! ». « Oui je viens de me prendre une vague qui m’a fait dévier ». « Tu es trop bas, lofe bon sang ! ». « Oui c’est ces foutus vagues qui m’arrivent dans le c… ». « Pourquoi on a pris 15 degrés dans le cap ? ». « Désolé boss, c’est la houle qui se renforce ».
Verre : objet utilisé normalement pour boire qui, devenu un objet volant, peut déchaîner une tempête à l’intérieur du bateau.
Vitesse : du vent, du bateau. En nœuds, toujours. Normal pour un équipage masculin.
Voiles : outils de propulsion, déchirées méthodiquement les unes après les autres, dès le jour 1. Il nous reste le grand spi tangonné à l’ancienne, qui a failli périr ce matin à l’heure des Corn Flakes, dans un vil moment d’inattention collective. La manœuvre de récupération a coûté un petit morceau de doigt au skipper.
W
WC : voir « Seau ».
Whale : mammifère qui se cache sous l’eau et alimente de nombreux fantasmes de marins. Seul item non coché sur notre with-list, du moins à l’heure de la rédaction de ces lignes. Même pas une de parapluie ou de soutien-gorge. Personne n’avait osé emmené Moby-dick à bord, roman réputé rasoir.
X
X : Genre de film. Inexistant sur une transat.
Y
Yack : n’habite pas l’Atlantique. Pas vu.
Yoyo : mouvement caractéristique et récurrent de nos tripes et estomacs terriens au démarrage de la traversée. A noter qu’à part la prune haut-marennaise, aucun remède anti mal de mer n’a été ingurgité par l’équipage, malgré les pharmacies pléthoriques constituées à titre préventif.
Z
Zut : terme trop politiquement correct pour exprimer ce qu’on pense quand on se cogne. Voir « gîte ».
Œuvre collective, équipage de Khelios.
Sur une idée originale de Francis, 62 ans, ingénieur industriel, plus montagnard que marin.