Position 14°28N – 52°21W, vitesse 7,7 nœuds, 471 milles du but
Lundi 7 décembre, 10 h.
Engagés et investis dans cette aventure un peu hors norme depuis de longs mois, permettre de « vivre la transatlantique de sa vie », mes 5 équipiers ont embarqué dans l’espoir d’aller vérifier par eux-mêmes si la réputation de la route des Alizés était aussi agréable, détendue et tranquille que dans les livres et récits d’équipages nous ayant précédé… Eh bien je peux dire qu’ils ne doivent pas être déçus !Nous sommes au 15e jour de notre traversée à bord de Khelios, un monocoque de croisière de 14 mètres, plutôt confortable, mais pas aussi performant que le catamaran initialement prévu, accidenté juste avant notre départ dans le Golfe de Gascogne. Le départ a été pour tous « une claque », suivie d’une 1ere semaine dense et rythmée dans un alizé soutenu, où chacun – du fait des conditions difficiles et d’une expérience nautique et vélique limitée – a pris petit à petit ses marques, et surtout pris la mesure réelle de l’entreprise collective initiée. Après la satisfaction de franchir la ligne imaginaire du « milieu de l’Atlantique » tous ont étés challengés par ce thalweg (extension active d’une dépression) qui nous a poursuivis et a même menacé de nous déborder par le nord, alors que nous nous félicitions de notre stratégie conservatrice, étrave pointée vers le Sud – Sud Ouest. Sautes de vents en force et direction, show de son et lumière avec les orages, apprentissage de cette science inexacte qu’est la météorologie et de l’acceptation de notre petitesse face à ces forces naturelles qui nous dépassent.
Enfin, nous avons réussi en ce début de 3e semaine à nous débarrasser de ce système concentré d’instabilité et menaçant la réputation de l’Alizé comme permettant de transater en maillot, bouquin ou jeux de carte dans les mains. Depuis notre 12ème jour sur le dos de l’Atlantique, la stabilité du vent, la chaleur, le spinnaker hissé nous permettent d’apprécier ce que « LA transat d’une vie » signifie réellement : concours de cuisine, moments conviviaux autour des apéros et repas, détente ou culture au choix derrière les romans embarqués, les livres nautiques, les manuels de météorologie et les récits de voyages de nos entrepreneurs respectifs, premier bain d’équipage dans le bleu profond de cette baignoire sans limites et surtout, ce midi, première pêche fructueuse malgré la présence de plus en plus concentrée des fameuses Sargasses qui nous accompagnent depuis 3 jours.Moi qui entame la dernière ligne droite de ma 6e Transatlantique, je dois dire que c’était une grande première pour le bain océanique et, avec encore plus de satisfaction, pour la pêche de ma première dorade coryphène de près d’1 mètre. Filets déjà prélevés pour le festin de ce soir ! Nos papilles en salivent déjà !
S’agissant des Sargasses, nous avons repéré les premières à plus de 600 milles de l’arc Antillais ! Et depuis lors, ce sont des patchs de plus en plus concentrés et fréquents que nous observons tout autour de nous, signes de dérèglements environnementaux dont les scientifiques et les médias vous ont déjà sûrement expliqué les enjeux et impacts catastrophiques sur la biodiversité de cette partie de l’Atlantique.
Pour le rythme quotidien, pas de changements majeurs, quarts, barre, réglages, manœuvres, relevés des positions de nos concurrents, météo et stratégie, entretien technique du bateau et des hommes, distillation d’informations et savoirs techniques au fil des actions de mes équipiers, pour la marche du bateau comme pour la vie à bord. Je suis extrêmement satisfait de mon équipage qui se montre très à l’écoute et participant à tout, sans grimacer ! Mêmes si les visages de fins de quarts montrent des traits tirés, ils manifestent aussi de premières victoires sur eux-mêmes et sur cet environnement qui sollicite leurs 5 sens et tous leurs capteurs en quasi-permanence… Les récompenses de l’arrivée, de plus en plus proche, et du débarquement « libérateur » (avec promesse d’un lit immobile, de toilettes de terriens et des retrouvailles avec nos proches) n’en seront que plus jouissives !
Côté course, finie la dominante stratégique, place à la tactique : se placer autant que possible entre nos concurrents directs et la prochaine marque (la pointe Nord de l’île de Sainte-Lucie).
Nicolas, skipper, pour l’équipage de Khelios et maintenant officiellement pêcheur Atlantique 😉
P.S. A qui le tour sur les prochaines courses ou expéditions ?